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Sud Ouest : « Mémoire menteuse »

Sud Ouest : « Mémoire menteuse »

Publié le : 16/12/2014 16 décembre déc. 12 2014

Avocat spécialisé dans les phénomènes d’emprise mentale, Daniel Picotin est hostile à l’allongement de la prescription.

« Sud Ouest ». Finalement, l’Assemblée nationale a refusé d’allonger la durée de la prescription pour les infractions sexuelles…

Daniel Picotin. C’est un soulagement !

Pourquoi ? C’était une folie juridique. La proposition de loi, portée par le groupe UDI et initialement votée par le Sénat, s’appuyait sur la théorie de la mémoire réprimée. Celle-ci ne repose sur aucune base scientifique. Elle part du principe que les souvenirs d’abus sexuels subis pendant l’enfance peuvent être refoulés pendant des années ou des décennies et resurgir brutalement à la faveur d’une psychothérapie. D’où la nécessité pour ses partisans d’élargir le champ de la prescription. Si la loi était passée, la possibilité de porter plainte aurait été ouverte jusqu’à l’âge de 48 ans (1).

Les partisans de cette théorie font pourtant souvent référence à Freud, le père de la psychanalyse ?

Effectivement, en 1895, Sigmund Freud avait évoqué cette hypothèse, avant de l’écarter deux ans plus tard. Ses tenants se servent des quelques lignes écrites à l’époque pour prétendre qu’un mal-être psychique a toutes les chances de trouver son origine dans une agression sexuelle subie pendant l’enfance et jusqu’alors occultée.

Cela peut arriver… Je ne le conteste pas. Mais il y a thérapeute et thérapeute. Lorsque la parole est recueillie par des thérapeutes diplômés et issus de l’université, psychiatres ou psychologues, il n’y a aucun souci. Mais, aux côtés de ces professionnels, fleurissent divers spécialistes aux intitulés divers qui disent pratiquer le développement de vie ou la thérapie de la conscience. Ces gens peuvent être à l’origine des « faux souvenirs induits », sources potentielles de graves erreurs judiciaires.

Que leur reprochez-vous ? De créer de toutes pièces de vraies fausses victimes. Ils induisent chez ces personnes, qui au demeurant vont mal mais pour de tout autres raisons, des souvenirs totalement faux, des choses qui ne sont jamais arrivées. Le pire, c’est qu’elles vont finir par en être persuadées. Parvenues à ce stade, elles fournissent souvent un luxe de détails. Leurs accents de sincérité peuvent toucher les profanes, voire leurs avocats.

Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? Le phénomène des faux souvenirs induits, dont on commence seulement à prendre conscience en France, est apparu aux États-Unis dans les années 80. Des centaines de personnes ont été condamnées, vraisemblablement à tort, avant que les travaux d’une psychologue, Elizabeth Loftus, professeur à l’université de Californie, n’alertent l’opinion publique sur le caractère trompeur de ces résurgences de souvenirs.

Qu’a-t-elle démontré ? Tout d’abord que lorsqu’on interroge les gens à propos de leurs souvenirs, on les modifie. La façon de poser les questions et le choix des mots influent sur les réponses et peuvent favoriser une reconstruction de la mémoire. Mais Elizabeth Loftus a surtout étudié les techniques utilisées par les soi-disant thérapeutes au travers des comptes-rendus de séances figurant dans les dossiers judiciaires. Au-delà de la façon de questionner, elle a notamment mis en cause l’utilisation de l’hypnose et de l’interprétation des rêves, qui permettent de décrire des scènes plus vraies que nature. La mémoire est menteuse.

Ces recherches ont-elles eu une influence aux États-Unis ? Les États-Unis ont connu des milliers de procès. Au point qu’au début des années 90 est née une association regroupant plusieurs centaines de parents accusés d’avoir agressé sexuellement leurs enfants et clamant leur innocence. Aujourd’hui, les révélations par des patientes d’abus sexuels survenus dans leur enfance sont accueillies avec beaucoup plus de scepticisme. C’est loin d’être le cas en France, où l’on avait pourtant dit « plus jamais » après Outreau.

Recueilli par Dominique Richard

(1) Un mineur victime d’abus sexuels dispose d’un délai de vingt ans après sa majorité pour porter plainte.

Source : Sud Ouest du 16/12/14

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