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« Reclus de Monflanquin » : comment une famille aisée et éduquée a pu se faire manipuler

« Reclus de Monflanquin » : comment une famille aisée et éduquée a pu se faire manipuler

Publié le : 24/09/2012 24 septembre sept. 09 2012

LE PLUS. Le procès des « reclus de Monflanquin » a débuté ce lundi. Dans cette affaire, la famille Védrines, des notables bordelais, se sont fait manipuler pendant plusieurs années, allant jusqu’à vendre tous leurs biens. Comment ont-ils pu en arriver là ? Solange Flament Morgand, avocate de victimes de manipulation, nous explique les mécanismes de cette affaire.

MONFLANQUIN. L’histoire de la famille Védrines, qui s’est fait manipuler par un pervers à Monflanquin, fascine la presse. Cette dernière se demande comment cette famille nombreuse –11 personnes en tout– a pu se faire manipuler alors qu’elle était composée de personnes de bonne éducation, d’un bon niveau social et économique.

La réponse est simple : les pervers manipulateurs ne s’appuient pas sur les failles de l’intelligence de leurs victimes, mais sur leurs plus petites failles émotionnelles, des fragilités psychologiques, qui peuvent être passagères.

On croit toujours que seuls les gens qui ont un faible niveau d’instruction peuvent être manipulés ; ce n’est pas du tout le cas, cela n’a même rien à voir. En effet, un pervers manipulateur comme Thierry Tilly s’appuie uniquement sur les failles psychologiques de sa victime pour parvenir à se rendre indispensable auprès d’elle.

Quant au fait que la manipulation ait concerné 11 personnes, le processus est le même que celui qui aboutit à la manipulation d’une seule. Les personnes manipulées sont des individus dynamiques, énergiques, empathiques, avec une faille émotionnelle, avec laquelle elles arrivent très bien à vivre. Elles sont tout à fait normales, et manquent souvent de confiance en elles.

Des « failles » nécessaires à la manipulation

Pour que quelqu’un soit manipulé, il faut nécessairement qu’il ait une faille : on ne peut pas manipuler n’importe qui. Dans l’affaire de Monflanquin, toutes les personnes n’ont pas pu être manipulées : trois ont résisté, notamment Jean Marchand, le mari de Ghislaine de Védrines, la femme qui a rencontré Thierry Tilly. Jean Marchand a très vite compris ou du moins eu l’intuition de la personne à laquelle il avait affaire.

Tous les manipulateurs pervers ont le même profil, exactement celui de Thierry Tilly : ce sont des personnes très appréciées, des « gendres parfaits ». Ils sont extrêmement intelligents, parfaitement capables de mentir et de prendre n’importe quelle personnalité, mais au fond d’eux ce sont des coquilles vides. Ils ont ce qu’on appelle un « châssis psychique fêlé ».

Leur plus grand talent est de savoir deviner la faille de leur interlocuteur. Le pervers questionne sa victime avec beaucoup d’intérêt, s’intéresse à lui. Le manipulé, ou « emprisé », est une personne normale, confiante : elle dévoile sa faille, ou son tourment du moment, son inquiétude, son interrogation – ou, dans le cas de Monflanquin, celle de sa famille – à son « empriseur ».

Le début de l’emprise commence alors, peu à peu, insidieusement, par petites touches. L' »empriseur » apparaît comme celui qui valorise, qui apporte de l’énergie, un espoir, des solutions.

On ne connaît pas bien la famille Védrines, on ne sait pas quels étaient les soucis profonds de chacun, leurs relations entre eux tous. Les enfants mal-aimés, maltraités psychologiquement par leurs parents, sont après des adultes dépourvus d’une bonne estime d’eux-mêmes, qui ont besoin d’être reconnus, et sont des proies idéales pour les manipulateurs. Dans la famille Védrines, il y a forcément une explication à leur besoin de reconnaissance qui a permis à un pervers de les manipuler.

Un processus bien rôdé

Dans l’affaire de Monflanquin, le pervers a commencé par s’immiscer auprès de Ghislaine de Védrines. Il a trouvé sa faille, l’a manipulée, puis s’est intéressé au reste de la famille. C’est un processus très long : il a mis deux ans pour parvenir à son but. Mais une fois qu’il y est arrivé, son système était très sûr : il n’a même plus eu besoin d’être auprès d’eux et pouvait les contrôler simplement par mail.

La force du pervers manipulateur, c’est qu’il n’est jamais tout le temps odieux. Il se montre aimable avec sa victime et indispensable à elle, et lui assène par petites phrases anodines qu’elle ne vaut rien et ne peut pas se passer de lui. À force de répéter la même chose pendant plusieurs mois sur des sujets précis, la victime se met à douter d’elle-même et finit par céder, par être sous emprise.

Le manipulateur isole pour mieux régner, il divise pour mieux dominer. Les 11 personnes qui étaient sous son emprise ne devaient sûrement pas beaucoup communiquer. Le pervers interdisait à l’un de répéter à un autre ce qu’il lui avait confié, le faisant ainsi se sentir important.

Quand il se sent démasqué, le pervers manipulateur se déchaîne contre les personnes récalcitrantes. Le mari de Ghislaine, Jean Marchand, qui se rebelle, est dénoncé comme dangereux. Il est exclu de la famille qui ne veut plus le voir.

Des situations qui peuvent aller très loin

Ces situations extrêmes peuvent aller très loin. La famille Védrines a vendu tous ses biens – une perte économique estimée à 4,5 millions d’euros –, elle a déménagé à Oxford, a assisté à des sévices physiques infligées à l’un de ses membres… Souvent, de telles situations de manipulation s’arrêtent avec la mort de la victime, son suicide ou sa dépression.

L’histoire de la famille Védrines a duré plusieurs années. En effet, ce genre de situation n’est pas du tout facile à appréhender par la justice. Il n’est pas possible de porter plainte pour une personne majeure, et les violences psychologiques sont extrêmement difficiles à prouver. Par définition, si elles sont psychologiques, on n’en a de traces nulle part.

De plus, l’instruction en général ne se rend souvent pas compte qu’il peut s’agir de violences psychologiques quand il s’agit de gens aisés. Or dans cette affaire, les gens sont fortunés, éduqués, notables… et manipulés. Cela fera donc peut-être évoluer les mentalités : la justice finira par admettre que mêmes les gens éduqués, qui disposent d’un statut social et économique solides peuvent être victimes de violences psychologiques.

Source : Le Nouvel Observateur du 24/09/2012

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