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Droit, Religions et Dérives Sectaires

Droit, Religions et Dérives Sectaires

Auteur : Maleine PICOTIN-GUEYE
Publié le : 26/04/2024 26 avril avr. 04 2024

Lorsque nous étudions les liens entre Droit et Religions, vient à l’esprit la problématique des Dérives Sectaires. 

Et pour cause, nous entendons souvent le reproche qu’il n’est pas possible de distinguer une Religion d’une Dérive Sectaire, certains allant jusqu’à indiquer que « la Secte est une Religion qui a réussi ».  

L’une des difficultés majeures est l’absence de définition juridique du mot Secte. Ce problème semble cependant,  aujourd’hui résolu puisque, le terme « Secte » n’est plus utilisé pour laisser place à l’expression « Dérive Sectaire ».

La Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) définit la Dérive Sectaire comme : « un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ». 

En outre, la question de savoir si une Religion peut être assimilée à une Dérive Sectaire se pose encore. 

En effet, à l’heure où la priorité de nombreuses personnes est la recherche du bien-être, la problématique des Dérives Sectaires s’est infiltrée avec force dans cette sphère, dans celle du coaching et des médecines alternatives. La presse évoque régulièrement ces nouveaux gourous car ces domaines sont devenus un de leur terrain de jeu favori. 

Pour autant, cette réalité qui existait déjà avant l’arrivée de la Covid-19 a été largement relayée et exploitée pendant et après le confinement. Trois ans après le dernier confinement, ces domaines ont toujours la faveur des gourous. 

Est-ce à dire que les gourous qui pouvaient se cacher derrière les mouvements religieux ont délaissé cet univers pour s’accaparer celui du bien-être ? La Religion est-elle toujours un point d’accroche pour les victimes ou futures victimes ? 

Les portes d’entrée dans une Dérive Sectaire sont diverses et les signalements relatifs à des domaines autres que celui du phénomène religieux sont nombreux : 
  • le complotisme,
  • les ventes pyramidales,
  • les médecines alternatives,
  • le Yoga,
  • le Coaching…
Force est de constater que les Gourous ne manquent pas d’inspiration pour appâter autrui qu’ils considèrent comme une proie.

Même si les Gourous 2.0 ont su s’adapter aux nouvelles préoccupations de la société, aux nouvelles technologiques -souvent plus vite que le Droit d’ailleurs, la dimension religieuse reste encore une porte d’entrée vers une Dérive Sectaire. 

Tout le rôle du Droit sera alors de distinguer ce qui relève de la liberté de pensée, de croyance et d’opinion de ce qui relève d’une Dérive Sectaire.

Comment le Droit peut-il distinguer une pratique religieuse conforme aux règles des lois de la République et un groupement qui se cache derrière une religion ou des croyances pour conduire des personnes dans le cadre d’un groupement sectaire à assouvir les désirs d’un maître assoiffé de pouvoir ? 

Pour tenter de répondre à l’ensemble de ces questions, nous verrons donc des situations où le gourou utilise la religion pour la mise en place d’une Dérive Sectaire (I) et comment le Droit nous permet de distinguer une pratique religieuse saine d’une prétendue pratique religieuse qui est dévoyée (II). 

I. LA RELIGION RESTANT UN TERRAIN DE CHASSE DES GOUROUS 

Les questions d’ordre spirituel n’ont pas disparu de nos vies. En témoigne le développement de petits groupes religieux et certains gourous se retranchent derrière cette dimension spirituelle pour créer leur groupe et maintenir les adeptes dans la communauté. 

Nous avions eu à connaître un dossier où le Gourou avait mis en place les Dieux de l’Olympe, se faisait appeler Zeus et avait attribué à ses adeptes des noms de Dieux et de Déesses Grecques. Comme toutes prétendues communautés religieuses, il y avait une hiérarchie et des rituels. Mais la dimension spirituelle et religieuse n’était qu’un moyen de parvenir à ses fins, à savoir vivre aux crochets des victimes et obtenir d’eux des faveurs sexuelles. Cette communauté a été mise en place bien avant le confinement par ce Gourou qui fut jugé post Covid. 

Cela n’empêchera pas certains adeptes, toujours sous emprise au moment du procès, comme très souvent, de soutenir le gourou. 

Une fois l’accroche mise en place, que le mode de recrutement soit d’ordre religieux ou autre, l’emprise peut perdurer sur des décennies et malheureusement parfois jusqu’à la mort de l’adepte ou même après la mort du gourou. Peu
importe la réponse judiciaire faite à un tel groupement, les adeptes restent sous la coupe de leur chef. 

C’est ainsi que le décès de Gilbert BOURDIN, qui se faisait appeler « sa sainteté le Seigneur Hamsah Manarah » fondateur du Mandarom, n’a pas mis fin à cette communauté qui en 1995 avait été classée comme secte par une commission parlementaire. Aujourd’hui, ce groupe comprend encore des adeptes. 

Un autre exemple peut être cité : celui d’une communauté constituée en Corrèze autour de Roger SURIN se faisant passer pour un Druide. Celui-ci profitait en réalité de ses adeptes pour assouvir ses pulsions sexuelles. Il aura fallu attendre octobre 2021 pour que soit mis un coup d’arrêt à ce groupe, à la suite du placement en détention provisoire de Roger SURIN. 

Si les cas de Zeus ou du Druide de Corrèze sont le fruit de petites communautés, il ne faut pas oublier que les Religions dites classiques ne sont pas épargnées par les gourous. En effet, ces derniers peuvent s’agréger à elles, pour former des groupes déviants et utilisent les méthodes propres aux Dérives Sectaires. 

Actuellement, ce que l’on nomme la fraternité Sacerdotale Saint Pie X se rattacherait derrière la communauté catholique traditionaliste. Il apparaît que cette communauté qui inquiète notamment la MIVILUDES, va au-delà de la promotion de valeurs dites traditionalistes, comme nous le verrons dans la seconde partie. 
Un collectif de victimes de ce groupement s’est constitué sur les réseaux sociaux et dénonce des pratiques sectaires. 

Si nous avons pu voir quelques exemples, les Dérives Sectaires qui se rattachent à la dimension religieuse sont nombreuses. La Religion reste donc une méthode d’accroche des victimes que le groupe créée sa propre doctrine ou qu’il greffe sa croyance sur une Religion classique. 

Dans les deux cas, l’important est d’identifier la Dérive Sectaire. C’est le Droit qui va nous permettre de distinguer une pratique religieuse saine d’une prétendue pratique religieuse qui est dévoyée. 

II. LE DROIT POUR DIFFERENCIER UNE RELIGION D’UNE DERIVE SECTAIRE

Un élément fondamental que nous devons prendre en considération est qu’une Religion va se distinguer d’une Dérive Sectaire par sa capacité à respecter les lois de la République. 

Certes, les Religions ont leur propre ensemble normatif, mais le principe de laïcité permet de s’assurer que cet ensemble ne prenne pas le dessus sur les règles de la société française. 

La justice de la République n’a pas, en principe, à connaître les règles du Droit Canonique, ni celles de la Charia par exemple mais appliquent les lois du Parlement. 

Surtout, ces groupements ont une véritable incapacité à respecter les lois et les valeurs de la République. Leurs règles passent au-dessus de celles de la société. Pire leurs règles peuvent être non conformes à l’Ordre public et aux bonnes mœurs et violer les lois de la République.

Ceci est un élément essentiel à considérer pour distinguer une croyance qui se doit d’être respectée, d’une Dérive Sectaire qui va se retrancher derrière une croyance pour assouvir ses « fidèles ». 

Le groupement demandera à l’adepte de se conformer aux règles du groupe même si cela le place dans une situation illégale aux yeux de la loi française.  Peu importe ce que l’adepte encourt, le gourou se moque des conséquences à l’égard de sa victime.

Le rapport à la loi de ce groupe doit donc être examiné avec attention. 

Ainsi, il est intéressant de constater que la fraternité Pie X, en dépit de l’évolution de la société, prône l’absence d’égalité entre les hommes et les femmes. Plus grave encore, ce groupe dispose d’écoles et enseigne aux futurs citoyens de notre société des idées non conformes à la réalité historique. L’enseignement religieux n’est pas différencié des savoirs classiques142 et les faits historiques ne sont pas toujours distincts des conceptions religieuses. Cette communauté dispose pourtant de 57 écoles hors contrat. 

Autre groupe qui suscite régulièrement un débat est celui des Témoins de Jéovah. 

Ce mouvement se revendique comme un mouvement religieux mais nombreux sont les anciens adeptes qui font état de Dérives Sectaires et la MIVILUDES reçoit toujours des signalements en ce qui le concerne. 

Les anciens adeptes se retrouvent également sur les réseaux sociaux et il est frappant de constater qu’ils dénoncent les mêmes choses que ceux rencontrés à notre Cabinet, à savoir un isolement par rapport au reste du monde et des personnes qui sont totalement coupés/rejetés de leur famille lorsqu’ils décident de quitter le groupe. 

Or, précisément, la liberté de croyance en France permet non seulement de choisir une religion, de ne pas croire ou encore de changer de religion. Les Témoins de Jéovah ne permettent pas de respecter cette règle en rejetant les enfants devenus majeurs de ceux qui ont décidé de quitter le groupe. Les parents répudient alors leur propre enfant avec force. 

Les Religions, elles-mêmes, doivent se saisir de cette problématique et examiner si en Droit, tel groupement rattaché à elles, est déviant ou non.

C’est ainsi que la Fraternité des Petits Frères de la Moisson de Jésus-Amour a été dissoute par l’Eglise catholique, en raison des dérives sectaires. Le Frère ayant dirigé cette communauté sera en principe jugé pour abus de faiblesse au second trimestre 2024. 


142 Physique, biologie, histoire, etc…

 

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